forest

Christophe saute un fossé humide des pluies de la veille et se retrouve nez à nez avec une clôture en fil de fer barbelé. Soudain, un cri strident le fait se retourner. Anne pleure à gros sanglots, la tête entre les mains. La robe de la petite fille est déchirée par endroits et du sang tache son corsage blanc.

– T’aurais pu nous attendre ! Une ronce énorme… !

Jacqueline, la sœur de Christophe, regarde son amie avec pitié, essaye d’expliquer l’accident. Le gamin sort un mouchoir de la poche de son pantalon du dimanche, frotte la boue qui macule les mains et les genoux d’Anne et la prend dans ses bras. Il est l’aîné et trouve que ses sept ans lui confèrent des responsabilités bien souvent écrasantes.

Le soleil, encore chaud, joue à cache-cache avec les nuages. Un vent soutenu balaye le sommet de la colline. De là-haut, la vue s’étend à l’infini vers les monts de Bourgogne, sortes de gros mamelons pour géants. Des fermes isolées, parfois à l’abandon, s’accrochent aux flancs des pitons les plus proches. Alentour, paissent en désordre des troupeaux de vaches rousses.

Les trois enfants redescendent vers le village en s’arrêtant de temps en temps pour que la blessée puisse reprendre des forces.

– Avec les filles, c’est toujours un problème, grogne Christophe.

– Tu sais ce qu’a dit maman. T’es le plus grand et tu dois nous surveiller, lui rappelle Jacqueline.

– Je suis pas votre nourrice, se plaint le jeune garçon.

– Je vais me faire disputer. Peut-être…

Anne secoue sa tête blonde. Elle a retrouvé des couleurs mais redoute maintenant un châtiment sévère qui la priverait des cadeaux si longtemps attendus. En cette soirée du quinze août, on fête en effet ses six ans.

– Te tracasse pas. Qu’est-ce qu’ils en feraient ? lui lance Christophe, philosophe.

– N’empêche. Si elle s’était cassé un bras ou une jambe… ? dit perfidement Jacqueline.

– Comment veux-tu qu’elle se casse quelque chose en tombant dans l’herbe ?

La niaiserie de la fillette agace Christophe. Il trouve Anne beaucoup plus mûre, beaucoup plus femme. Il admire l’espèce de fermeté que confèrent à son visage ses cheveux courts et drus, ses yeux vifs et étranges, son menton volontaire. Pourtant, les deux amies ont le même âge à un peu plus de quinze jours près. La vie à 1a campagne doit certainement expliquer la différence.

Tout à coup, Jacqueline bute contre un caillou et se retrouve assise sur une bouse fraîche. Elle se relève en larmes.

– La prochaine fois, je partirai seul ! Avec des emmerdeuses comme vous… ! maugrée Christophe en nettoyant sa sœur.

A bout de patience, il attrape les fillettes par la main et se dirige droit vers le village.